Vivre selon l’Évangile, Mgr Ducaud-Bourget paraphrase de l’Évangile de la messe.

Seigneur, lorsque je parle à tes fidèles,

à ceux qu’on appelle tes fidèles,

je crains de ne savoir leur livrer ta Parole,

leur transmettre ta voix,

de trahir le Verbe.

Car je connais combien je suis inhabile

et froid et lent pour cette tâche éblouissante.

Car je connais aussi les hommes

de qui la distraction et l’indifférence

ont revêtu pour un moment, les gestes pieux…

Parce qu’ils sont nés dans la Foi,

jadis, par ta Providence,

ils pensent tout savoir de Toi,

n’avoir rien à savoir de plus.

Ils se sont accoutumés aux formules du catéchisme

(qu’ils ont cependant oubliées),

et ne peuvent imaginer l’immédiate réalité :

Toi vivant dans la messe,

Toi parlant dans l’Évangile.

Seigneur, l’habitude émousse leurs inquiétudes,

s’ils en ont jamais contractées.

Ils accomplissent des rites sans âmes,

de vieux rites au sens ignoré,

qu’ils n’ont pas envie de scruter.

Donc, je pâtis cette difficulté de parler

comme si j’allais dire des mots inconvenants.

Ne vais-je pas bouleverser leur bonace

si je prêche l’Évangile ?

Ne serai-je pas le maladroit qui gaffe dans un salon

parlant de l’origine des fortunes

chez un fils d’usurier ?

J’aurai l’air d’un butor, d’un indiscret,

d’un fanatique…

Regardes-les Seigneur, bellement acropetonnés

dans le fauteuil de leur ignorance,

emmitouflés de leur indolence ;

ne serait-ce pas une pitié

de leur lancer le Souffle immortel des conversions

et le Séisme des jugements ?

Ils savent qu’ils pourraient vivre plus divinement

et se contentent d’un confort gélatineux,

digestif…

Et j’irai leur dire :

« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait »…

Vos défauts, mollesse, vanité, sensualité,

votre orgueil et vos cupidités,

les vices vous étouffent l’âme.

Ils arrêtent sa croissance,

Vous êtes des nains volontaires,

des avortons délibérés.

Coeurs desséchés, esprits terrestres, ventres hyperboliques,

vous demeurez immobiles au sein de la tourmente d’amour

qui s’efforce de vous jeter en Dieu.

Le poids de votre exiguité décourage les souffles

de la Pentecôte

et votre infirmité paralyse Dieu.

Dieu qui vous crie :

« les violents remportent le ciel »

Se faire violence ? Fi donc ! Il est plus élégant

(et plus facile)

de suivre la nature. Cela donne un cachet « artiste ».

On a besoin de ce vernis désinvolte

pour glisser esthétiquement

parmi l’admiration bourgeoise

des scurrilités décourageantes

et des vices croulants…

Alors Dieu vous crie encore, sans que vous écoutiez :

Tu aimeras le Seigneur de tout ton coeur, de toute ton âme et de toutes tes forces…

Il est donc question d’aimer Dieu ?

Et de cette façon : absolument ?

C’est fou, impossible.

« Cette parole est dure, et qui peu la supporter ? »

Mais, en y réfléchissant, dites-vous, « nous aimons Dieu

car : « Celui-là qui m’aime accomplit mes Commandements… »

Or : je paie le denier du culte,

je jeûne lorsque j’ai mal à l’estomac,

(autrement je suis dispensé par mon confesseur,

ma constitution est si délicate…)

le dimanche, j’écoute la musique d’une messe élégante

et je ne trompe pas ma femme, parce que c’est plus simple.

Vraiment, n’ai-je pas le droit d’être content de moi ?

Je suis bon chrétien.

Ah ! « Seigneur, je te remercie de ce que je ne suis

pas comme le reste des hommes… »

- Certes… mais le second Commandement est semblable au premier » tu sais, le fou,

l’impossible :

« Tu aimeras le prochain comme toi-même… »

Quel travail en perspective !

C’est que tu as pour toi un si grand amour !

Quels efforts sont les tiens pour ton bien-être,

pour ta richesse et ton luxe…

Seras-tu donc obligé d’en faire autant pour les autres,

ou de partager avec eux les résultats ?

Pourquoi pas ?

« Aimez-vous les uns les autres… C’est à ce signe

qu’on vous connaîtra pour mes disciples… »

La charité… L’omission du mal…

Ne pas médire ni calomnier.

Respecter le bien d’autrui, même lorsque le vol ne léserait

point la respectabilité, la réputation…

Toi, dévote hargneuse, il te faudra, douce, aller à ton foyer

et soigner ta famille

au lieu d’encombrer l’église de tes oraisons brimeuses

du clergé, des bedeaux et des fidèles.

Bavarde, sache que « le royaume de Dieu est en nous »

dans le grand silence du coeur…

Toi coquette hypocrite, tu devras abandonner tes fards et

tes mises provocantes si tu veux t’agenouiller sur le calvaire…

Toi mari volage, souviens-toi qu’il te plairait peu d’obtenir

la pareille de ton épouse.

Et que « si ton oeil te scandalise » il vaut mieux « arracher » …

Toi vieux cagot, cesse de tempêter sur les saines préoccupations de tes fils,

parce qu’elle dérangent tes manies tyranniques

ne cloîtres pas tes filles dans ton égoïsme sadique.

L’Apôtre a dit : « Père, n’exaspérez pas vos enfants. »

Toi marguillier, renonce aux privilèges de vanité,

respecte les prêtres du Seigneur et ne les traite pas,

à cause de ton or ainsi que tes valets…

Toi patron retors et dévot, paie donc tes employés

leur juste prix et sois même large…

Ouvrier, membre de confréries multipliées, renonce aux

dévotions, ou bien travaille plus exactement…

Vous tous, ne couvrez pas vos mesquines vilainies,

vos lâchetés obscènes,

de scapulaires, de voiles blancs, de rubans et d’insignes,

ne vous dérobez pas sous les plis des bannières,

ne vous retranchez pas dans un faste correct pour des

cérémonies de bon ton

gestes soigneusement vidés par vous de toute mystique.

Vous, des chrétiens ? Savez-vous ce qu’ils sont, les vrais ?

« D’autres Christ… »

Celui là qui veut être mon disciple doit se renoncer,

prendre sa croix chaque jour et me suivre… »

Si vous ne décapez pas votre âme de sa gangue froide,

si vous conservez la carapace obtuse de l’égoïsme,

si vous ne vous allégez du poids de l’or…

vous n’aurez jamais les mains libres et les pieds alertes

pour embrasser et porter la croix du Christ.

Il a gravi la côte en chancelant sous le supplice.

Il vous sera impossible d’aller au but,

chargés comme vous l’êtes,

et vos doigts encombrés ne pourront protéger votre face

lorsque vous trébucherez, lourds, dans la fange,

la précieuse croix gisant près de vous,

souillée comme votre âme.

« Bienheureux les pauvres en esprit… »

débarrassés des liens terrestres, n’en ayant cure,

ils sont vifs dans la voie et peuvent traverser

la porte que les riches caravanes

jamais ne parviendront à franchir…

« Bienheureux ceux qui pleurent… »

parce qu’ils ne tiennent plus à rien ici-bas

et qu’ils sont libres, libres vers Dieu…

« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice… »

ceux qui ont compris la nécessité, l’équitable nécessité de t’aimer en Toi et dans tes

enfants, nos frères…

« Bienheureux les miséricordieux… »

dégagés des enlacements corrosifs et brutaux de la haine,

ceux qui t’ont remis le soin de juger,

allégés de leurs purulentes rancunes…

« Bienheureux les coeurs purs… »

les évadés de la chair, des lourds joyaux de chair façonnés

par le monde…

« Bienheureux les pacifiques… »

éloignés de tous désirs dominateurs,

des hallucinations conquérantes,

or, bronze et fer…

« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice… »

la seule richesse permise entièrement : le ciel est à eux,

puisque déjà le monde essaye de le leur ravir.

On ne combat pas ainsi les dénués.

Ils ont la Vérité, le seul bien qui demeure éternellement,

avec l’Amour…

« Bienheureux ceux qu’on maudit, ceux qu’on calomnie à

cause de Moi… »

ils ont dépouillé même leur réputation,

ils n’ont plus rien à eux que le Seigneur vivant aux cieux…

Qu’attendraient-ils de la terre ?

Que Tes sanglantes béatitudes, Christ, nous libèrent et nous

délivrent de nous-mêmes et du monde.

Par elles, vraiment, comme Toi,

nous pourrons dire que le démon ne trouve rien à lui en nous…

Mais, ô Seigneur, comment le faire comprendre à cette foule ?

Elle ignore ton enseignement.

Elle n’a plus ton esprit pour juger comme Toi-même.

Le monde pour qui Jésus ne veux pas prier,

le monde s’est infiltré sournoisement, avec persévérance dans

ces âmes royales, sacerdotales, divinisées par le baptême.

Sans qu’elles en sachent rien, ils les as détrônées,

dégradées, rabaissées.

Le cri des pharisiens et des princes des prêtres

je l’entends ici :

« Il a blasphémé. Il mérite la mort. Crucifiez-le… »

Ma paix, mon honneur, mes intérêts, mes affections

tout sera saccagé, si je parle.

Si je prêche ton Évangile,

Bonne Nouvelle de ta victoire sur le monde,

pénitence qui prépare les voies,

jugement selon l’amour ou l’égoïsme,

je suis condamné à souffrir, à lutter,

à mourir peut-être, et déshonoré.

« Fou ! Me crie le monde. Que fais-tu ?

Allons ! Sois raisonnable. Pas d’histoire… »

Si je me tais, la paix,

Si je parle…

Mais le Christ, lui a parlé.

Il a eu des histoires. Il a même été crucifié.

On ne peut pas être le disciple de Jésus si l’on a pas d’histoires…

Je suis le prêtre de Jésus…

Maintenant, je vois, dans la foule,

des âmes véritables,

les disciples réels, ceux qui ne sonnent pas la trompette

lorsqu’ils donnent à la quête…

Ils sont humbles, simples, secrets,

lumière diffusés, illuminant sans qu’on la remarque.

Ils agissent doucement, sans réclame,

sans oripeaux vertueux et voyants.

Je songe que le Christ avait seulement

après tant de miracles, cinq cent disciples,

cinq cents disciples bien cachés,

qui réalisaient les « béatitudes ».

Et la terre fut gagnée à Dieu par ceux-là…

Je songe que redire l’Évangile à ces âmes

vaudra la conversion des autres, obtuses, lâches,

cernées de la chair…

Plus puissante est la prière d’un saint

que la haine d’un faux dévot.

De toute ma foi, de toute mon espérance

et de tout mon amour,

je te lance ô peuple assemblé dans mon église,

la Parole du Christ, sans l’atténuer,

sans la débiliter,

sans esquiver ses abîmes de sacrifices et d’extase

et comme une croix immatérielle, sanglante et rayonnante

je la jetterai sur tes épaules, foule,

foule qui veut t’orner d’un titre contraignant,

frère du Verbe, enfant de Dieu, vous tout chrétiens…

Mgr Ducaud-Bourget, L’Oblation

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